Interview Marc O’Reilly : « parler politique et vie personnelle, c’est primordial »

 

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Marc O’Reilly

Notre première rencontre musicale avec Marc O’Reilly date d’il y a trois ans. Grâce au clip, signé Simon O’Neill, de Hail, titre issu de son premier album My Friend Marx (2011). Les accents africanisants du morceau, le fingerpicking à la guitare, la voix émouvante et pleine de graviers du songwriter de Lismore (près de Cork) nous donnent envie d’en savoir plus. Plusieurs concerts plus tard, à Londres et à Dublin, ne font que confirmer tout le bien que l’on pense du « troubador » (à l’époque, on le compare un peu facilement à Ray LaMontagne ou John Martyn), qui varie les plaisirs, entre folk et blues rock. Après Human Herdings sorti en 2014, il livre deux ans plus tard son troisième opus, Morality / Mortality, LP où son écriture et son agilité à la guitare sont une nouvelle fois bluffantes. Il y mêle, comme toujours, sujets politiques (crise des migrants) et personnels (maladie, rupture amoureuse…). Et pourquoi donc ? Cette question, on ne manquera pas de la lui poser en ce matin brumeux de novembre, à Dundalk, petite ville située non loin de la frontière avec l’Irlande du Nord, où avec son groupe, il a donné un concert la veille. Ah juste un détail : Marc O’Reilly fera toute l’interview en français. Sa maman est originaire de la banlieue de Nantes, ceci expliquant cela…

Peux-tu me raconter le processus de cet album ? Est-ce que cela a été compliqué ?

Pour le premier album, My Friend Marx, j’avais toute la vie pour l’écrire. Pour le second, Human Herdings, j’ai pris mon temps, surtout avant l’enregistrement : j’ai passé deux mois tout seul dans un gite, concentré sur mon travail. J’ai fait la même chose cette fois-ci et j’ai consacré six mois à l’écriture. Je suis discipliné. Je me lève à huit heures. Je commence à travailler à neuf et je m’arrête à 7 ou 8 heures du soir. L’un de mes deux frères, qui est vétérinaire à Mullingar pas très loin de Dublin, m’a accueilli chez lui. Il partait très tôt le matin et il revenait très tard. J’étais à la campagne, j’avais le silence que je voulais : des conditions parfaites pour bien travailler. Il y avait des jours où c’était terrible car rien de bon ne sortait. Parfois, les idées viennent rapidement et puis plus rien pendant des jours et des jours. C’est comme ça, il faut l’accepter.

Avec ton talent de guitariste, on se dit que tu écris d’abord la musique…

Quelques fois les paroles viennent en premier. Mais tu as raison, le point de départ, c’est plus souvent la musique. Je pars d’un riff de guitare et ensuite je laisse reposer. Je le reprends le lendemain pour voir si j’aime autant le son que cela fait. Au bout des six mois, tu réécoutes ce que tu as fait au début, c’est là qu’est vraiment le test et si la chanson te parle toujours autant. En signant avec Virgin Records Allemagne, je n’ai subi aucune pression. Ils savaient ce que je faisais et j’ai pu faire ce que je voulais. On a eu une belle collaboration.

Morality / Mortality, le titre de l’album, est venu rapidement ?

Pas vraiment. J’y ai pensé vraiment quand j’étais sur le point de finir l’album. Je voulais un titre original et ne pas reprendre celui de l’une des chansons de l’album comme je l’ai fait pour My Friend Marx. J’aimais beaucoup l’allitération des mots Morality / Mortality et c’était parfait avec tous les thèmes qui sont abordés sur cet opus : mon sens moral, celui des autres et la mortalité, la mienne et en général. Je parle de mon ex-petite-amie et de l’état du monde comme la crise des migrants: le titre collait bien.

Parmi les chansons les plus personnelles de l’album, je retiens Three & one où tu parles de ta famille et de ta maladie…

Il y a deux ans, je suis tombé gravement malade et on craignait pour ma vie. C’était une expérience très bizarre et affreuse. Je me suis dit que ce serait intéressant d’aborder cette période à travers le point de vue de ma famille et ensuite revenir à mes propres sensations. Quand je la chante, j’aime l’émotion qui se dégage de ma voix. J’ai beaucoup travaillé le solo de guitare car c’est une extension de ce que je ressens. J’aime beaucoup jouer cette chanson sur scène: elle est devenue très importante pour moi.

Tu es médecin : en tombant malade soi-même, est-ce que cela remet les choses en perspective ?

Dès que j’ai commencé à travailler en tant que médecin, j’ai toujours été empathique vis à vis de mes patients. Et après avoir été moi-même malade, je le suis encore, mais puissance dix. J’avais très peur… J’ai d’abord été soigné à Mullingar et ensuite à Dublin : le personnel a été génial avec moi. C’était terrible mais je suis tombé sur des équipes incroyables. J’ai vraiment eu de la chance. Heureusement car entre la maladie, une rupture amoureuse un mois avant, un déménagement… ce fut une période très difficile…

Comme dans tes deux albums précédents, tu mélanges thèmes personnels et politiques. Que préfères-tu aborder ?

Parler politique et vie personnelle, c’est primordial. Je les place ces thèmes au même niveau. Pour moi, les paroles des chansons personnelles sont plus simples à écrire. Il y a plus de recherche à faire avec les titres à messages politiques car je ne veux pas raconter n’importe-quoi.

Dans Do they know, une chanson sur ta rupture amoureuse, il y a cette phrase, amère mais très belle : « On avait les prénoms pour les bébés et les chansons pour le mariage » …

Oui, j’étais très content de cette phrase là. C’est très triste, c’était une époque où j’essayais de m’en remettre. Mais tout va bien maintenant (sourires).

Au niveau du son, le premier album était résolument folk, et d’album en album, tu évolues davantage vers le blues-rock…

Pour le troisième, c’est moitié-moitié. Je pense que j’ai plus de confiance en moi pour me lancer plus franchement dans des guitares lourdes et c’est encore plus évident avec le groupe (Albert Jones, guitare, Peter Byrne, batterie et Mike O’Connell à la basse). Je sais ce qu’on peut faire ou pas quand on est ensemble. Quand j’ai composé Human Herdings, j’ai constitué le groupe après pour la tournée. Et sur scène, les chansons ont donc évolué. Mais avec celui-là, la donne était différente. Je savais le son que je voulais avec le groupe en tête.

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de gauche à droite: Albert Jones, Peter Byrne, Marc O’Reilly et Mike O’Connell, Whelan’s, novembre 2016

 

Quand on écoute La Question et The Scottish Widow, sur scène, on voit l’évolution : elles sont méconnaissables.

Sur scène, La Question, ce n’est pas vraiment du rock, c’est un mélange de jazz, de drum and bass. Et la transformation est encore plus évidente avec The Scottish Widow. Les changements se font naturellement quand on se retrouve avec le groupe. Je suis beaucoup plus directif au moment de l’enregistrement et de la production de l’album mais quand on prépare un set, j’écoute les idées des autres. On essaie des choses et on voit ce que cela donne.

Il y avait des influences africaines sur le premier album notamment avec African Day. Avec Generica sur le 3e, ça me semble un peu plus évident.

Je n’en avais pas vraiment conscience mais c’est peut-être parce que j’écoutais Tinariwen au moment de l’écriture. Mon père m’a dit la même chose, qu’il y avait une sorte de « vibe » africaine. Ça me fait plaisir quand on me dit ça.

Tu penses que ton séjour en Afrique t’a influencé ?

Peut-être… J’ai travaillé dans un hôpital au Ghana entre ma 4e et ma dernière année de médecine. C’était un stage dans le cadre d’une association humanitaire. J’ai voyagé ensuite au Kenya où je suis monté au sommet du fameux Mont. J’ai visité la Zambie et Namibie également. Des expériences intenses à chaque fois. J’adore l’Afrique, c’est un continent magique et la musique sur place est très inspirante.

J’adore Jimi Hendrix. J’ai vu Pearl Jam, dont je suis très fan, trois fois et deux fois en France (…). J’aime tout chez eux : le jeu de guitare, le style, les paroles, l’émotion que procure la voix de Eddy Vedder.

On loue tes qualités de guitariste : Rory Gallagher, le légendaire guitar hero de Cork, est-il une référence pour toi ?

Oui, bien sûr ! C’est un de mes modèles. Je l’ai découvert quand j’avais 16 ans, je crois, et je n’ai pas cessé de l’écouter depuis. J’adore Jimi Hendrix. J’ai vu Pearl Jam, dont je suis très fan, trois fois et deux fois en France, à Bercy et au Main Square à Arras. J’aime tout chez eux : le jeu de guitare, le style, les paroles, l’émotion que procure la voix de Eddy Vedder.

Tout à l’heure, on parlait de ton père qui est batteur dans un groupe. Tu étais presque prédestiné à faire de la musique.

A 71 ans, il fait toujours de la musique. Il part  jouer dans les pubs avec mon oncle qui est un peu plus jeune. Il a monté son groupe il y a cinquante ans ! Il a sorti un single dans les années 1960. Il avait signé un contrat avec Polydor à l’époque. C’était compliqué pour lui et les autres musiciens de continuer professionnellement car cela supposait des tournées etc, or ils étaient tous pères de famille. J’ai joué un peu avec lui. Ma sœur chante dans son groupe. Concernant ma musique, son avis est très important pour moi et comme celui de ma mère.

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Marc O’Reilly, Konstantine Pope et Pierre O’Reilly, le trio de R

Ton frère Pierre est également dans la musique…

Pierre est dans la composition de musique de films notamment et on collabore souvent. On a presque fini l’album de R, notre trio avec Konstantine Pope de Standard & Push. C’est de l’electro-pop, un genre très différent de ce que je fais habituellement et ça me plaît beaucoup d’essayer d’autres choses. Comme avec le groupe de jazz Kairos Quartet. Il prépare un album où je chanterai et jouerai un peu de guitare. On avait formé un trio folk avec ma sœur et Pierre mais je n’ai pas le temps de m’y consacrer en ce moment.

J’ai lu que tu avais commencé à apprendre le piano quand tu étais adolescent : pourquoi avoir abandonné ?

J’ai détesté ça ! Mais je regrette de ne pas avoir persévéré. C’est mon frère qui a pris le relais ! Quand j’étais petit, Jérémy, le fils d’amis de mes parents, est venu nous voir trois semaines à Lismore pour perfectionner son anglais. Il vivait pas loin de Bordeaux et avait peut-être 18 ou 19 ans. C’était un mec génial. Il jouait bien de la guitare, c’était un gaucher, je me rappelle. Le voir jouer, j’ai trouvé ça très, très cool. J’ai demandé à mon père de m’offrir une guitare et puis voilà (sourires). J’ai pris des cours pas trop formels jusqu’à 14 ans et après je me suis débrouillé tout seul en écoutant des chansons.

Quand quelqu’un a un talent pour un instrument, on peut vite le mettre dans la case « bon technicien » mais pas forcément dans celle du songwriter. Tu avais peur de cela ?

Quand j’ai commencé, j’étais obsédé par la guitare et les solos. Et puis après j’ai commencé à chanter et les personnes qui m’ont entendu m’ont encouragé dans cette voie. (Il s’interrompt car on entend Midlake à la radio : « tu connais ? C’est un groupe incroyable ») J’étais dans un groupe indie dans ma première année de fac, on a arrêté car j’étais obsédé par la guitare instrumentale. Et puis, j’ai découvert un club de folk à Lismore. J’apprends que de très bons songwriters des Etas-Unis comme Peter Mulvey venaient là pour jouer. J’ai réalisé que je voulais faire la même chose.

Et ta première chanson, quand l’as-tu écrite ?

J’avais neuf ans ! « The Lonely Man »… Horrible.. Ma mère me dit « oh, il faut jouer cette chanson ». Désolé maman, mais non (rires).

Ta maman est française : As-tu des références musicales venant de France ?

Ce qui m’a marqué, c’est le temps que j’ai passé en France. Les vacances là-bas avec ma famille. Cela a influencé mon style et ma façon d’écrire. Je connais évidemment Jean-Jacques Goldman, qui est un bon songwriter, et Johnny Hallyday, car je les regardais sur TF1 avec ma grand-mère. Mais, je n’ai jamais acheté leur CDs. Plus âgé, j’ai beaucoup aimé Air, Daft Punk, Phoenix et Justice. Ma mère, qui a très bon goût, écoutait plein de choses quand elle était étudiante notamment à la fac à Nantes : de la chanson à texte et des songwriters anglo-saxons. Elle m’a initié à Jimi Hendrix ou The Manhattan Transfer. J’ai tenté quelques paroles en français sur la Question. J’aimerais le refaire. Mais pour faire un couplet entier, il faudrait que je revienne en France six mois ou un an pour que mon niveau de langue soit parfait (sourires).

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