Interview Ailbhe Reddy : « Je veux faire une musique qui me ressemble »

Lors d’une fête de la musique caniculaire au Centre culturel irlandais, la songwriter Ailbhe Reddy, qui a ouvert la soirée, nous a accordé de son temps pour nous parler de ses influences, de féminisme et de ses projets.

Il fait une chaleur caniculaire en cette fête de la musique au Centre culturel irlandais. En bon petit soldat, Ailbhe Reddy a bravement ouvert la soirée (avant la musique traditionnelle de Goitse et le ska de Interskalatic). Seule avec sa guitare, elle a passé en revue ses deux EPs, Hollowed out Sea, qu’on avait découvert lors de sa soirée de lancement à l’Odessa Club à Dublin, et le tout nouveau Attach to memory. Deux opus sur la rupture amoureuse où la songwriter, originaire de Dublin, ne se fait pas de cadeau. On aime son indie-folk inspiré, la force de son écriture et sa voix, magnétique, puissante et émouvante. Le concert au CCI est l’une de ses nombreuses dates cette année. Depuis sa sélection (vote du public) au très respecté Other Voices, tout est allé très vite et elle a déjà joué dans tous les autres festivals qui comptent, en Irlande et au Royaume-Uni. On la rejoint après son concert, au frais, prêt à parler, entre autres, de ses héros musicaux et de féminisme. Photos Jean-Marc Ferre.

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Tu nous a pris par surprise en sortant Attach to Memory, le nouvel EP, quelques mois seulement après Hollowed out Sea.

J’ai moi-même été surprise. Mais on a pensé que c’était le bon moment, juste avant The Great Escape (le grand festival de Brighton), les dates au Royaume-Uni et à l’approche des festivals. The Great Escape a d’ailleurs été une très bonne expérience : l’un des concerts était archi-complet. Ça reste un très bon souvenir, l’un des meilleurs sets que j’ai donné. Il faisait chaud mais pas autant qu’aujourd’hui. Mais je suis irlandaise, donc dès qu’il fait plus de 25 degrés, c’est un problème pour moi (rires).

Comme dans l’opus précédent, tu parles de rupture amoureuse. Le thème éternel, non ?

A l’évidence. Mais le but n’est n’est pas de s’appesantir sur son malheur. Pas question de s’auto-apitoyer. Je constate les torts de l’autre et les miens (et j’en ai souvent beaucoup). Cela finit toujours sur une note d’espoir. Mon but est d’aller de l’avant.

Avec Fingertips, le single, tu abordes la sexualité féminine. C’est toujours un sujet tabou selon toi ?

C’est un thème qui n’est pas beaucoup abordé dans la musique folk en tous cas. La sexualité masculine a été traitée très souvent en musique et dans les autres formes d’arts, contrairement à celle des femmes, à mon avis. Si tu oses parler de cela, on te traitera de salope mais bizarrement si tu n’en parles pas, tu es prude. C’est très étrange… C’est un moyen pour moi d’être féministe.

Comme avec Somebody’s daughter , un titre issu de Hollowed out Sea, où tu rendais hommage aux femmes de ta famille ?

J’aime bien le mot « hommage » en français… ça sonne bien (sourires). Je viens d’une famille très matriarcale. Toutes les femmes dans ma famille sont très fortes. Mes deux grand-mères sont incroyables. Elles sont chaleureuses et très encourageantes. Des qualités que je n’ai pas forcément… Elles ont tout donné à leurs enfants, pour qu’ils aient une bonne éducation et réalisent leurs rêves, et tout ça en sacrifiant un peu de leur liberté. Je trouvais important de mettre ça dans une chanson.

En parlant de féminisme : tu es une grande fan de Fiona Apple qui a écrit une chanson pour la Women’s March contre Donald Trump. Ferais-tu la même chose pour le mouvement Repeal The 8th (1) en Irlande ?

Je soutiens à 100 % ce mouvement. Si je m’investis dans ce genre de chanson, il faut que cela vienne naturellement. Je ne voudrais pas l’écrire pour surfer sur le sujet et créer le buzz. Ce n’est plus un sujet tabou pour ma génération. L’avortement touche tout le monde. Il faut trouver une solution. Il est temps. La honte ne doit pour être sur les personnes qui se font avorter mais sur le gouvernement qui laisse pourrir la situation. Le nouveau « taoiseach » (équivalent du premier-ministre) a dit qu’il y aurait un référendum l’an prochain. J’espère qu’il tiendra parole… En attendant, ma tante qui défilait déjà il y a trente ans n’en revient pas qu’on doive encore se battre pour acquérir ce droit. C’est fou quand on y pense…

Toujours concernant Fiona Apple : pourquoi l’aimes-tu autant ?

C’est une femme incroyablement forte. C’est un génie musical. Et ses paroles ! Elle ose tout. Comme si elle disait « va te faire foutre », « je suis comme je suis et voilà ce que je pense ». J’adore cette colère en elle. Je trouve ça bouleversant. Je veux montrer cette colère également dans mes textes, quand cela se justifie. J’ai pas mal d’autres héros musicaux. Ça évolue avec le temps. Je suis une grande fan également de Radiohead. J’ai été très déçue de rater leur concert à Dublin récemment. J’ai grandi en écoutant leur musique, ainsi que celle de Jeff Buckley.

Tu es partie en tournée avec Maria Kelly et tu as partagé la scène avec Marlène Enright. Des songwriters très talentueuses qui montrent une belle percée féminine en Irlande …

La pauvre Maria a dû supporter le fait que je ne suis pas une as du volant (rires)… Blague à part, oui, il y a pas mal de filles très douées en ce moment. D’ailleurs, la plupart des artistes que je veux voir sur scène à Dublin sont des femmes comme Saint Sister, Loah ou Laoise. Bizarrement, ça ne se traduit pas dans les festivals où on mettra plus facilement les hommes en tête d’affiche. C’est encore un club de garçons. Mais je pense que les filles ont le potentiel pour se frayer un chemin. Ce qui est bien, c’est nous nous entraidons. C’est une belle petite communauté.

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Darragh Nolan, du groupe Sacred Animals, a produit le dernier EP. Comment avez-vous travaillé tous les deux ?

C’est génial de travailler avec lui. Il a également produit l’EP précédent. On a eu un travail collaboratif notamment dans les arrangements. Pour Attach to memory, je voulais un son plus « live », « moderne » et « lourd ».  On peut dire que je joue de l’indie-folk, un peu rock. Ce n’est pas le folk traditionnel irlandais : j’essaie de mettre plusieurs couches, pour avoir mon propre style. Je veux faire une musique qui me ressemble.

Comment s’est passé l’écriture et notamment celle de Never Loved, mon titre préféré sur le dernier ep?

En général, j’écris les chansons assez vite. Or celle-ci, qui est également ma préférée, m’a demandé énormément de travail. J’étais partie sur le concept « je ne t’ai jamais aimé comme tu me manques » et je n’arrivais pas à le formuler correctement. J’ai mis un an à la terminer !

Tu utilises souvent le « tu » dans tes chansons : pourquoi ? Cette personne s’est reconnue ?

Oh oui, bien sûr qu’elle s’est reconnue ! Pour le « tu », tu as raison. C’est pour m’adresser directement à une personne mais c’est cela peut parler à ceux qui écoutent la chanson, leur rappeler leur parcours personnel.

Comment vois-tu ton évolution musicale entre ces deux EPs ? As-tu davantage confiance en toi et dans tes choix ?

Oui, c’est certain. Je pense que j’ose plus de choses dans le son des chansons, les arrangements et dans les textes. Cette fois-ci, je savais exactement ce que je voulais donc la démarche a été plus simple.

Ta voix fait également partie de tes instruments…

Oui et j’en prends soin. Je ne fais plus n’importe-quoi comme je pouvais le faire avant. Fintertips et Relent sont très difficiles à chanter par exemple. Elles me demandent beaucoup d’énergie et de précision, surtout en live. Je suis épuisée à chaque fois que je les interprètent. C’est comme faire de la gym !

Quand as-tu décidé de devenir musicienne  et de ne plus chanter uniquement pour… ton chien?

Oui, c’est vrai que j’avais l’habitude de faire ça quand j’étais petite (rires). Un jour, j’ai décidé de sauter le pas et faire écouter mes « œuvres » à des êtres humains. Je suis un peu le mouton noir car dans ma famille proche, il n’y a pas de musiciens. J’ai dû commencer à écrire quand j’ai commencé à apprendre la guitare. Je devais avoir 13 ans et évidemment ce n’était pas terrible. J’ai commencé à me dire que c’était pas mal à partir de Flesh and Blood, j’avais alors 21 ans. Depuis j’ai évolué, et comme je t’ai dit j’ai pris davantage confiance en moi pour oser plus de choses, dans le son et le paroles.

Quels sont tes projets ? Peut-on s’attendre à un premier album bientôt ?

Je suis très occupée en ce moment avec les concerts et les festivals (au moment de l’interview, elle devait jouer à Glastonbury, deux jours plus tard et est au line-up d’Electric Picnic début septembre, ndlr). Je vais certainement sortir d’autres singles. Fingertips a très bien marché d’ailleurs sur Spotify. Je ne sais pas si je suis encore prête pour un album.  Je vais prendre mon temps et on verra.

(1) Le mouvement Repeal the 8th demande l’abrogation du 8e amendement de la constitution qui empêche les femmes de disposer de leur corps. Le but est que le droit à l’avortement soit reconnu en Irlande.

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