Le 5 et 6 décembre, Martin Hayes, le maestro du fiddle venu en solo, a bluffé, par sa virtuosité le public de la chapelle du Centre culturel irlandais. Maîtrise inventive de l’instrument et émotion : l’alchimie parfaite.
Dans la musique traditionnelle irlandaise, il y a des stars. Martin Hayes, fiddler formé par son père P.J. Hayes et originaire de l’est du comté de Clare, en est une. Le triomphe de The Gloaming ( le super groupe qu’il forme avec le chanteur de sean-nós Iarla Ó Lionáird, le guitariste Dennis Cahill, le fiddler Caoimhín Ó Raghallaigh et le producteur et pianiste Thomas Bartlett) en Irlande et dans les philarmonies du monde entier, n’a fait que renforcer son statut. Le quintet était venu jouer dans la cour du Centre culturel irlandais à l’occasion de la fête de la musique en 2013. Grâce à son CV bien rempli (sur lequel figure le récent The Blue Room, fruit de sa collaboration avec le clarinettiste Doug Wieselman, la violoniste Liz Knowles, et à nouveau le guitariste Dennis Cahill), les concerts du 5 et 6 décembre à la chapelle ont rapidement été complets.
Dans le public, on croise des musiciens – des violonistes – préparés à se prendre une leçon. Ils ne seront pas déçus. L’affable Martin Hayes, qui a choisi de jouer en acoustique totale et prend le temps d’expliquer l’origine des airs qu’il interprète, va une nouvelle fois montrer sa maestria. La setlist variera un peu d’un jour à l’autre avec notamment pas mal d’hommages à Peadar O’Riada avec lequel il a constitué Triur, un trio avec également un certain Caoimhín Ó Raghallaigh. Chaque soir, on a droit à un enchaînement subtil de morceaux traditionnels plus ou moins récents, qui commence généralement « piano » pour s’achever en une tornade qui laisse toujours pantois. La virtuosité, assez ébouriffante de Martin Hayes, est connue mais la technique, bluffante et parfois déconcertante quand elle s’offre quelques écarts, est toujours au service de l’émotion.
« L’irlande est un terre de catholicisme mais aussi de légendes qu’on se raconte au coin du feu » raconte-t-il en guise d’introduction à Port Na bPucai (The Tune Of The Fairies) « une cacophonie de sons de la nature ». C’est une petite merveille : on a vraiment l’impression d’être sur une falaise (celle des Blasket islands où a été composé le morceau) fouettée par le vent. Grâce au jeu de Hayes, la mélodie ose quelques écarts avec le genre « musique traditionnelle. Même sentiment avec Verona, composé par Bill Frisell, un guitariste de… jazz. On aime également les gigues The Cliffs of Moher et The High Hills of Tara. On reconnaît, ça et là, des airs qu’il joue avec The Gloaming dans des versions forcément plus épurées. Belle relecture de Fáinne geal an lae, air archi-connu que Hayes s’amuse à déconstruire et on reste bouche bée à l’issue du final, tourbillonnant, de The Lady’s cup of Tea.
Lina, la femme de Hayes, lui a un jour conseillé de jeter une oreille plus attentive à The Sailor’s Bonnet (« Un air que je n’aimait pas », on se pince !). En jouant avec le tempo, il en a fait désormais un incontournable de sa setlist. Par ses mains expertes, ce morceau, qui sert également d’épilogue aux concerts de The Gloaming, fait dans le moment de bravoure où toute la virtuosité et l’innovation de Hayes peut s’exprimer. C’est d’une beauté à couper le souffle. Résultat : une standing ovation amplement méritée les deux soirs. On se quitte avec O’Carolan Farewell to music, un standard qui visiblement rappelle des bons souvenirs à certaines personnes du public. En bon poète de l’archet, Martin Hayes nous a offert un beau voyage, recueilli et vibrant , entre tradition et modernité.