Interview Martin Hayes (The Gloaming) : « Apprécier la musique, et purement la musique »

En 2011, les fiddlers Martin Hayes et Caoimhin Ó Raghallaigh, le chanteur Sean-nos Iarla Ó Lionáird, le pianiste et producteur Thomas Bartlett (aka Doveman) et le guitariste Dennis Cahill, tous deux américainsse réunissaient pour former le « supergroupe » baptisé The Gloaming. Encensée par la critique, leur musique traditionnelle revisitée séduit un public beaucoup plus large que les aficionados du genre. En mars, ils enchaînent sept dates à la « maison », au National Concert Hall de Dublin (complets évidemment) mais feront d’abord halte à la Philharmonie de Paris le 25 février pour présenter leur deuxième album, (2), sorti triomphalement, comme le premier, en 2016. Rencontre avec la tête pensante du groupe, le maestro Martin Hayes, qui nous parle au téléphone depuis sa maison en Espagne.

Je ne m’attendais pas à appeler en Espagne…

Oui c’est vrai! Deux d’entre nous vivent aux Etats-Unis, deux autres en Irlande, puis il y a moi, en Espagne! Ma femme est espagnole. Nous vivions en Irlande puis nous avons décidé de passer un peu de temps dans son pays.

Vos deux albums ont été numéro un des ventes en Irlande.  Vous faites sept dates archi-complètes au National Concert Hall de Dublin en mars, une tournée européenne puis vous partez aux Etats-Unis… Etes-vous surpris de ce succès?

Oui c’est assez incroyable que notre groupe soit devenu aussi populaire. Nous n’avons joué qu’une seule fois à Paris au Centre culturel irlandais, et là je crois que le concert à la Philarmonie est sold-out. En fait on ne sait jamais vraiment comment le succès arrive. Cela survient lorsque l’on s’y attend le moins, je crois.

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Photo Rich Gilligan

Votre musique est un mélange de musique traditionnelle Irlandaise avec quelques touches de musique moderne, ce qui est plutôt surprenant…

C’est une description assez juste de notre musique. Elle est ancrée fondamentalement dans la musique traditionnelle, c’est l’élément le plus significatif. Caoimhin (Prononcez “Kouivin”, ndlr), Thomas et Dennis ont une solide base dans ce domaine mais ont aussi d’autres influences. Tout cela crée un environnement propice à un échange entre les musiciens et à l’innovation.

Comment arrivez-vous à trouver un équilibre entre vos différentes influences?

Thomas est un musicien moderne talentueux qui évolue plutôt dans le monde de la musique indie (producteur entre autres de Sufjan Stevens et de Glen Hansard ndlr), mais il connaît très bien la musique irlandaise depuis son enfance. Caoimhin a été formé à la musique traditionnelle, mais il s’est ensuite tourné vers de la musique un peu plus expérimentale. Dennis verse dans la musique américaine, la country, le rock’n’roll, mais on joue ensemble depuis des années alors il connaît ce style. Puis il y a Iarla, chanteur de Sean-nos depuis l’enfance, mais qui a également travaillé avec des compositeurs modernes (Afro Celt Sound System, ndlr), ce qui l’a poussé dans d’autres directions. Moi-même, je m’intéresse à différents genres, même si la musique traditionnelle reste ma formation première. Mélangez tout ça et vous trouverez une langue commune entre toutes nos influences et nos différences. Pour ma part, cela me pousse à sortir de mes retranchements. Notre musique est donc le résultat de notre réunion. Sans vraiment qu’on y réfléchisse, on joue et on voit où cela nous mène.

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photo Feargal Ward. De gauche à droite : Dennis Cahill, Iarla Lionaird, Martin Hayes, Thomas Bartlett et Caoimhin O Raghallaigh

 

Le sens des mots m’importe peu : en tant que musicien, je recherche d’abord l’émotion provoquée par le chant. Le phrasé, être en harmonie avec la mélodie… La voix est aussi un instrument et on a tendance à l’oublier

 

Vous avez fait le choix du chant en gaélique. Pourquoi?

Ce n’était pas vraiment un choix conscient. Quand on parlait de monter ce groupe avec Dennis – au départ un duo -, il me disait que sa langue maternelle était le gaélique. Il chantait dans cette langue depuis son enfance (Dennis Cahill est né à Chicago de deux parents Irlandais originaires du comté de Kerry, Ndlr). En fait, nous sommes un peu comme Sigur Ros (groupe islandais qui chante en islandais mais qui a inventé sa propre langue, ndlr). Toute ma vie, j’ai écouté des chanteurs du monde entier, s’exprimant dans des langues que je ne comprends pas forcément. Le sens des mots m’importe peu : en tant que musicien, je recherche d’abord l’émotion provoquée par le chant. Le phrasé, être en harmonie avec la mélodie… La voix est aussi un instrument et on a tendance à l’oublier.

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Photo Rich Gilligan

Pour les paroles vous vous inspirez néanmoins de vieux poèmes, de textes anciens…

Oui, nous faisons des recherches, même parfois par rapport à de bouts de mélodies qu’on rajoute à des arrangements plus contemporains, et on commence à improviser là-dessus.

Je voulais revenir sur une chanson de votre premier album intitulée “Saoirse” (« Liberté » en Irlandais, mot lié à l’indépendance du pays et les mouvements républicains) qui a une forte connotation politique en Irlande…

Oui c’est vrai, mais il faut plus le comprendre ici comme une liberté personnelle. Se libérer de votre propre vie, devenir ce que vous voulez être, en quelque sorte. On parle de liberté plutôt dans son sens abstrait. Cela n’est donc pas forcément lié à une lutte d’ordre politique, mais je comprends que vous puissiez faire ce lien.

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Photo Hugh McCabe

On n’entend pas souvent de piano dans la musique traditionnelle. Est-ce que ces aspects modernes étaient une volonté dès la création du groupe?

Je connais Thomas depuis qu’il est enfant : cette musique c’est un peu un nouveau Thomas ! Thomas s’est remis au piano après une longue pause. En fait, jusque dans les années 1950 et 1960, le piano tenait une place centrale dans la musique traditionnelle. Les autres instruments comme la guitare sont venus plus tard.  Il faut juste voir notre musique avec des arrangements du XXIe siècle. C’est une expérience de sons en musique traditionnelle qui n’avait jamais été faite jusque-là.

Votre style est bien différent de celui de Caoimhin : en quoi vous complétez vous?

Nous avons travaillé ensemble auparavant, donc nous avions déjà mélangé nos deux violons. Quand vous avez deux instruments mélodiques comme les nôtres, cela crée beaucoup de liberté. Caoimhin a en profité pour expérimenter en m’accompagnant sur les morceaux que je joue. Il est du coup très créatif. C’est vraiment difficile d’expliquer ce qu’il fait exactement. Il prend les éléments séparément et les décortique pour les jouer d’une octave différente par rapport à mon jeu. Et bien sûr,  il utilise le hardanger d’amore (au son plus grave ndlr), ce qui donne une texture et un ton différents. Et quand on combine les deux, voilà ce que cela donne!

Vous avez sorti votre deuxième album l’année dernière qui n’a pas de nom…

Parce que nous n’en avons pas trouvé! En fait il n’y avait pas vraiment de différence avec ce que nous avions fait pour le premier album, donc cet album est plutôt comme un autre chapitre d’une même histoire.

Pourquoi la musique traditionnelle Irlandaise est-elle aussi vivace en Irlande et dans le monde? Est-ce une part essentielle de la culture et de l’identité Irlandaise?

Je pense que la musique Irlandaise, ainsi que la langue gaélique, ont joué un grand rôle au début du XXe siècle alors que le pays avait soif d’indépendance. Nos différences culturelles nous permettaient de nous démarquer. Evidemment de l’eau a coulé sous les ponts, donc il n’est plus question de ça aujourd’hui. Dans le cas de notre groupe, il s’agit d’apprécier la musique, et purement la musique. Il se trouve que c’est de la musique Irlandaise, mais pour nous c’est seulement la musique qui compte.

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photo Feargal Ward

 

C’est quand même surprenant de tomber sur des musiciens qui jouent de la musique traditionnelle dans n’importe quel pub en Irlande…

C’est vrai que cela a pris de l’ampleur depuis des années maintenant. C’est vraiment émouvant de voir tant de jeunes jouer de la musique traditionnelle. Même s’ils évoluent vers autre chose par la suite, de plus en plus commencent leur apprentissage par la musique traditionnelle. Ce qui n’était pas le cas quand j’avais leur âge! A mon époque à l’école, c’était un peu la honte de jouer ce genre de musique : nous étions seulement deux ou trois dans toute l’école. Je me cachais ! La révolution musicale a commencé dans les années 1950 jusqu’aux années 1970 avec l’émergence de nombreux groupes. Une tendance peut-être plus commerciale dans les années 90 est apparue avec le succès de Riverdance par exemple. La musique traditionnelle est devenue au fil du temps un aspect dominant de la culture Irlandaise.

Vous êtes très actif en dehors de The Gloaming…

En effet. L’an passé, j’ai formé un string quartet à Brooklyn qui se met tout doucement en place. Cela m’amuse et me permet de rester occupé. Mais tous les autres musiciens du groupe ont leurs propres projets avec d’autres musiciens. C’est très positif, car lorsque l’on se réunit pour travailler sur The Gloaming, on est très enthousiastes. Pour nous, c’est un scénario idéal car cela nous permet de maximiser notre potentiel créatif. On ne peut pas compter que sur un seul projet : cela met une pression trop forte que nous voulons éviter.

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