Interview Saint Sister : « On veut créer une musique honnête et intègre »

En compagnie de Rachael Lavelle, Saint Sister (Morgan MacIntyre, voix et textes, et la harpiste Gemma Doherty) a donné un concert magique à la Chapelle du Centre culturel irlandais le 2 novembre dernier. On a en profité pour discuter avec le duo-phénomène de leurs deux années assez folles et de leur « atmosfolk », qu’elle s’apprête à jouer à Eurosonic demain et le 12 janvier.

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2 novembre, Centre culturel irlandais. Accompagné par la magicienne Rachael Lavelle, Saint Sister vient d’envoûter le public de la chapelle avec son « atmosfolk », un habile mélange d’harmonies vocales, de tradition celtique (la harpe), de pop, de folk des années 1960 et d’electronica. On est encore sur notre petit nuage quand on commence notre conversation avec les nord-irlandaises Morgan MacIntyre et la harpiste Gemma Doherty, duo à l’irrésistible et rapide ascension, depuis sa formation en 2014 sur les bancs de Trinity College. Tout est allé très vite : avec Madrid, un EP sorti en novembre 2015 et produit par Alex Ryan, le bassiste de Hozier, elles ont déjà fait tous les festivals importants en Irlande (Electric Picnic, Body & Soul…), The Great Escape à Brighton, Glastonbury, le très hype SXSW (South By Southwest à Austin) et Fireworks au Trianon pour leurs premiers pas en France. Vu le buzz autour d’elles, on espère les revoir très vite dans nos contrées. En attendant, ce sera le tremplin Eurosonic, le 11 et 12 janvier.  Avec elles, on évoque leurs deux années-tourbillon, la conception de l’EP, leurs projets et du pouvoir des … chouchous à cheveux pour créer de la musique.

Craic and Tracks : Vous vous êtes rencontrées au Trinity College à Dublin. J’ai cru comprendre que c’est Morgan qui a fait le premier pas…

Morgan : Oui, c’est vrai. Nous chantions au sein du Trinity Orchestra (en même temps qu’un certain Hozier, ndlr). Comme je ne connaissais personne, j’étais dans mon coin à tricoter pour passer le temps (rires). ça l’a intrigué, je suppose, et elle est venue vers moi, très gentiment. Je l’ai entendue jouer de la harpe et je n’avais jamais rien entendu de pareil. Je lui ai écrit un e-mail, décousu et très long, pour qu’on se voit  autour d’un café. Gemma, qui était en route pour Belfast, a mis trois jours à me répondre à cause d’une coupure de téléphone ! Je pensais qu’elle n’était pas intéressée. On s’est vues finalement et après dix minutes de conversation, on était déjà en train de réfléchir à un nom pour notre duo. Depuis, on n’a pas passé une journée l’une sans l’autre.

Gemma : quand on a décidé de former le duo, on était dans une période un peu compliquée. On venait de finir nos études et on se demandait ce qu’on allait bien pouvoir faire de nos vies. Pour moi, faire de la musique était une évidence, mais c’était un passage un peu « freaky ».   

– Comment travaillez-vous ensemble ? Morgan s’occupent des textes, Gemma, de la musique ?

Gemma : c’est à peu près ça. Morgan vient avec ses idées de paroles, ou des textes déjà prêts et avec des mélodies en tête. On a chacun nos forces mais on essaie de travailler ensemble dès le début de la construction de la chanson.

– D’où vient ce terme d’ « atmosfolk », que vous avez inventé pour définir votre musique?

Morgan : Alex Ryan, notre producteur, a été le premier à utiliser ce mot…

Gemma : je crois qu’il plaisantait à ce moment-là.

Morgan : je ne sais pas s’il l’a inventé ou si cela existait avant. Il nous a dit que « Atmosfolk » collait bien à notre musique. On a dû en parler une fois dans une interview et depuis cela revient tout le temps. Si les gens pensent que cela définit ce que l’on fait, tant mieux, ça nous va parfaitement.

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Gemma Doherty et Morgan MacIntyre

 

–  Quel a été le rôle d’Alex Ryan sur Madrid, votre EP sorti en novembre 2015 ?

Gemma : Il a voulu travailler avec nous assez tôt, en fait. On a fait la production à trois, pour définir exactement ce qu’on voulait comme son. On a renoué avec lui pour la sortie des singles Tin Man et Corpses. On se fait vraiment confiance. C’est toujours délicat au début, – on vient d’horizons différents -, cela prend un peu de temps.

Morgan : « Est-qu’on ajoute des voix là ? » ou « Un instrument ici peut-être ? ». Mon instinct, c’est de toujours de ralentir le rythme alors qu’Alex voulait y mettre un peu plus de groove. Même si cela donnait lieu à pas mal de débats, on finissait toujours pas tomber d’accord. C’était une belle collaboration.

– Que voulez-vous que l’auditeur ressente quand il écoute vos chansons ?

Morgan : On veut créer une musique honnête et intègre. C’est important pour moi. Quand j’écris les paroles,  j’y mets beaucoup de choses personnelles mais j’espère également qu’elles parlent intimement aux gens qui les écoutent. Qu’elles évoquent des expériences qu’ils ont eux-mêmes vécus.

Gemma : On ne parvient pas toujours à ressentir des choses dans des concerts par exemple mais quand ça arrive c’est assez génial. On a atteint notre but.

« Mon grand-père, qui était écrivain, me disait toujours : « écris sur tes rêves, écris sur tes rêves ». Tout est là, c’est la clef de l’art que tu veux faire, selon lui. »

– Morgan, quand tu es sur scène, tu évoques souvent l’importance du rêve dans l’écriture des chansons…

Morgan : Mon grand-père, qui était écrivain, me disait toujours : « écris sur tes rêves, écris sur tes rêves ». Tout est là, c’est la clef de l’art que tu veux faire, selon lui. Je ne le fais pas d’une manière consciente mais oui, je m’aperçois que dès que je présente une chanson sur scène, cela revient constamment.

– Les chansons de Madrid parlent de solitude. J’ai lu quelque part qu’être seule, c’est un peu compliqué pour toi …

Morgan : je suis indépendante mais la compagnie de certaines personnes m’est indispensable. C’est pour cela aussi que j’aime le fait que Gemma et moi-même formions une équipe. Je ne m’imagine pas jouer en solo !

Gemma : faire de la musique, cela peut vous isoler. J’avais cela à l’esprit quand on a commencé à collaborer. Je préfère partager les idées que j’ai dans la tête et les faire fonctionner grâce et avec une autre personne. Le thème de la solitude pour l’EP n’était pas une volonté au départ. C’est lorsqu’on a réuni les chansons qu’on s’est rendu compte de la place que ce sujet avait pris.

-Parlons des harmonies vocales : vous pensiez en faire dès le début de votre collaboration ?

Gemma : j’ai toujours aimé cela. J’en faisais dans des chœurs et d’autres groupes. Je pense que c’est venu assez naturellement avec Morgan. Nos voix sont assez différentes et collent assez bien.

Morgan : On va continuer dans cette voie.

-Gemma, comment es-tu venue à la harpe ? Une source bien informée m’a dit tu étais obsédée par cet instrument quand tu étais petite !

Gemma : (rires) Ma mère… Alors que j’avais déjà commencé à étudier le piano, ma mère a pensé que cet instrument pouvait m’intéresser. La prof de musique de l’école était une harpiste. C’est là que j’ai commencé les cours. J’étais tellement jeune, cinq ou six ans, que ma mère a longtemps porté elle-même ma harpe ! C’est un instrument assez polyvalent, avec une large gamme de sons, notamment grâce à l’électronique. J’ai grandi en jouant de la musique traditionnelle. J’ai un peu délaissé ce style une fois à la fac. Mais mon amour pour ce genre est revenu quand j’ai pu utiliser des pédales loop et des effets.

– Ce soir, j’ai vu que tu avais mis des … chouchous à cheveux sur les cordes …

Gemma : Oui, c’est une façon de couper et de rendre plus grave le son des cordes afin d’obtenir un effet de contrebasse. Utiliser des chouchous n’est peut-être pas le truc le plus efficace mais pour l’instant, je n’ai trouvé que ce moyen-là (rires).

-Avec  Wyvern Lingo, qui sont venues chanter lors de votre concert à la Unitarian de Dublin, vous faites partie de la « Hozier family ». Un duo avec lui est-il envisageable ?

Morgan : on adorerait ça évidemment !

Gemma : On espère qu’il pense la même chose. Nous sommes très amies avec Wyvern Lingo. Nous avons fait une tournée avec elles. Pour notre concert à la Unitarian Church, on leur a demandé si l’une d’elles était libre ce soir-là et elles sont venues au complet ! Elles sont extraordinaires, l’un des meilleurs groupes vocaux qu’on pouvait espérer.

-Le clip de Madrid, aux accents fantastiques, a été réalisé par l’excellent Bob Gallagher. Comment avez-vous travaillé avec lui ?

Morgan : c’est notre manager Conor, du groupe Spies, qui nous a mis en contact avec lui. Evidemment, on aimait les vidéos qu’il avait faites pour Girl Band notamment. Il est tellement talentueux, créatif et il sait tirer le meilleur, au niveau visuel, de la chanson. Il nous a bombardé de questions sur le sens des paroles, où je voulais en venir, etc… On a tourné dans le Donegal, au milieu de nulle part, avec ma sœur qui joue le personnage principal. C’est Bob qui a voulu aborder le thème du clone. On a tout de suite dit oui quand on a découvert son idée en lisant la fin de son synopsis. (Saint Sister a depuis retravaillé avec lui sur Tin Man, ndlr).

-Vous avez participé à tous les festivals possibles cette année : quelle a été la meilleure expérience ? South By South West à Austin ?

Morgan : Jouer en festival, ce n’est pas évident. Pas facile de s’imposer quand d’autres groupes sont sur scène en même temps que vous. C’est très formateur en tous cas.

Gemma : A South by Southwest, il y a tellement de groupes qui se produisent en même temps. Ça donne un peu le tournis. La musique est partout. C’était un peu surréaliste. On a fait quatre concerts là-bas et on a fait de belles rencontres. il y avait une belle délégation irlandaise dont Rosie Carney. C’était mon premier voyage aux Etats-Unis. C’était donc très spécial pour nous.

-Et assurer la première partie de Will Butler, d’Arcade Fire, au Whelan’s ?

Gemma : on avait joué seulement trois ou quatre concerts ensemble dont un en ouverture de Spies. Et puis on nous a demandé de faire cette première partie. C’était assez génial même si nous n’étions pas prêtes du tout !

Morgan : c’était un des plus importants concerts de l’année à Dublin. La presse n’a parlé que de Will Butler (rires). Voir ce grand performer sur scène, c’était une vraie leçon.

Gemma : Notre concert à Paris a été très spécial également. C’était notre premier en dehors de l’Irlande et du Royaume Uni. Bel accueil du public, nos parents étaient là et  le Trianon est une salle magnifique.

-Ce soir vous avez repris Songs of love de The Divine Comedy. A Dublin, lors d’une Christmas Party avec vos amis Spies et Tandem Felix, vous avez fait une relecture de Last Christmas de Wham. Les reprises, c’est un exercice que vous appréciez particulièrement ?

Morgan : oui, reprendre un morceau et ralentir son rythme, avec des harmonies vocales (rires). Pour Last Christmas, on réalise alors que la chanson n’est pas si joyeuse que ça. Les paroles sont d’une tristesse ! Même chose pour Dancing in the dark (jouée le soir où son auteur, Bruce Springsteen jouait à Croke Parke devant des milliers de fans, ndlr).

Ce soir, on a également eu droit à A Case of You de Joni Mitchell. C’est une influence pour vous…

-Morgan : C’est une déesse ! Je ne peux pas te dire à quel point je l’aime. C’est la meilleure musicienne et songwriter que la terre ait portée. L’album Blue est une œuvre d’art. Je l’écoute tout le temps et à chaque fois, je suis émue en l’écoutant. Il ne cesse de m’inspirer. Quand Rachael (Lavelle, qui assurait la première partie de leur concert au CCI) chante A Case of You, moi et Gemma, nous ne pouvons pas nous empêcher de pleurer. C’est pour cette raison, qu’on a décidé de la chanter ensemble, ce soir.

Gemma : je suis 100 % d’accord avec Morgan. On est aussi très fan de James Blake, qui a donné un concert récemment à Dublin. Ce soir-là, il a également repris cette chanson!

-Vous venez de sortir deux nouveaux morceaux, Tin Man et Corpses. C’est un prélude au premier album ?

Morgan : On ne sait pas encore. On continue d’écrire en tous cas.

Gemma : On a fini quatre morceaux depuis la sortie de l’EP. On en a donc sortis deux. Peut-être qu’on proposera les deux autres également en single et B-side. Rien n’est décidé.

-Dernière question : finalement, êtes-vous allées à Madrid ?

Gemma : non, toujours pas !

Morgan : c’est peut-être mieux comme ça. Madrid est un lieu idéalisé, imaginaire. on préfère le fantasmer et rêver sur cette ville. Le rêve, encore et toujours (sourires)

 

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